Chapitre 7 "L'inspecteur mène l'enquête janvier-mai 2007"
"Depuis la remarque de ma sœur, courant octobre 2006, sur les premières rumeurs de problèmes dans le service de radiothérapie de l’hôpital d’Epinal, je ne me suis pas vraiment inquiété, restant même, je l’avoue, presque indifférent. J’en suis honteux aujourd’hui.
En janvier 2007, les rumeurs se font de plus en plus pressantes, la presse écrite parle maintenant clairement d’un accident concernant 23 personnes ayant suivi une radiothérapie entre mai 2004 et août 2005. Grosse inquiétude, j’ai suivi la mienne entre mars et mai 2005, c’est-à-dire au cœur de cette période. Vers la fin du mois, conjurant ma peur, je décroche le téléphone et pose LA question au docteur Aubertel. Sa réponse catégorique me rassure aussitôt : “J’ai vérifié personnellement ton dossier, il n’y a aucun problème pour toi, tu n’en fais pas partie”. Ouf ! Je me sens tout de suite mieux.
Mais le répit est de courte durée. Dans les tout premiers jours de mars, la télévision et la presse écrite informent que l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) et l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) viennent de remettre leur rapport sur l’accident d’Epinal concernant les vingt-trois personnes. Disponible sur le site Internet de l’ASN, je m’empresse de le découvrir. Sa lecture me fait froid dans le dos, et ne manque pas de m’inquiéter grandement. En voici quelques morceaux choisis :
Modification du protocole de radiothérapie conformationnelle mal préparée, pas d’écriture préalable du protocole, pas de traçabilité (…)
Tous les paramétrages ne sont pas systématiquement modifiés après le changement de méthode (…)
Les manipulateurs ne disposent d’aucun guide d’utilisation en français adapté à leur pratique quotidienne (…)...
44 autres personnes sont atteintes de rectite radique (NDR : liée aux rayons) après radiothérapie de la prostate, s’ajoutant aux 23 malades surdosés (…)
Il convient de mener une enquête approfondie dans toute la région sur l’étendue des complications radiques du service de radiothérapie (…)
Les différents maillons de la chaîne sanitaire, qui doivent permettre d’éviter les crises ou de les gérer au mieux, ont tous successivement lâché.”
Quelques jours plus tard, les médias annoncent l’ouverture d’une enquête complémentaire, demandée par le ministre de la Santé, sur l’évaluation des pratiques de la radiothérapie à l’hôpital d’Epinal. La machine s’emballe. Un organisme parisien jusqu’alors inconnu pour moi, l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), m’interroge longuement par téléphone sur mon état de santé actuel, les symptômes ressentis et les complications quotidiennes pouvant avoir un lien direct avec la radiothérapie.
La conversation dure plus de vingt minutes et me laisse perplexe. A partir de cet instant, je commence à faire la relation entre les douleurs, le dérèglement intestinal persistant, les saignements et la radiothérapie suivie deux ans auparavant. Non seulement je fais le rapprochement, mais je suis de plus en plus persuadé que l’accident concerne nettement plus de vingt-trois personnes. Et probablement, je suis du nombre. Sueurs froides !
Cette enquête complémentaire est bouclée en un temps record. Le vendredi 23 mars 2007 au matin, avant de partir au travail, je découvre en lisant l’Est Républicain, que l’IRSN a remis son rapport au ministre de la Santé. Une page entière du journal est consacrée à ce sujet sous le titre : “Diagnostic aggravé à Epinal”.
Sa lecture ne me laisse plus aucun doute. Finalement, deux accidents ont été découverts. Le premier, le plus grave, concerne 24 personnes (et non 23) surirradiées à +20%. Le deuxième touche 397 personnes ayant reçu des doses de rayons en excès de 8%. La conclusion est évidente, je suis à coup sûr une de ces 397 personnes.
Je n’arrive pas à me concentrer sur mon travail ce matin-là. Me croyez-vous ? Plus étonnant, les douleurs intestinales semblent plus fortes et plus fréquentes qu’à l’habitude. Le mental est en train de prendre le dessus.
Le journal informait de la mise en place d’un numéro vert à l’hôpital Jean Monnet. Il n’est pas encore 10 heures du matin lorsque je décroche le téléphone. Je dois être dans les premiers à appeler. Longue conversation avec une charmante interlocutrice, voulant tout savoir sur ma radiothérapie. Rendez-vous fixé cinq jours plus tard, avec un radiothérapeute parisien de La Pitié-Salpétrière dépêché spécialement à Epinal pour suivre les accidentés. La proximité de cette prochaine visite me calme un peu."